[Documentaire] Le cauchemar de Darwin


Réalisé par Hubert Sauper, le cauchemar de Darwin est un documentaire effectué en Tanzanie, à et aux alentours de Mwanza, village de pécheur placé au bord du lac Victoria - et aéroport de transit
Le lac Victoria est le deuxième plus grand lac au monde, est un splendide lac tropical et se trouve être au centre de ce que l'on appelle le berceau de l'humanité.
Mais de berceau il n'en reste que des lambeaux, parsemés ça et là au milieu d'un système établit et corrompu par le mode de vie/commerce/profit occidental.
Que filme Hubert Sauper ?
Principalement ce qui gravite autour du commerce de la perche du Nil.
La perche du Nil est une sorte d'immense brochet (la plupart font 1m, 1m50) dont les filets se vendent bien en Europe sur nos étals. Vous en trouverez à la GMS du coin, sous forme de filets blancs.
La perche du Nil, introduite dans les années soixante, permet à l'ensemble des pécheurs et économies jouxtant le lac, de vivre. Elle a développé l'économie et désormais tout s'y rapporte. Sa naissance a fait vivre le pays, sa disparition le ferait mourrir plus vite.
La perche du Nil a déjà décimé la moitié des poissons endémiques au lac Victoria, tels les Pundamilia Nyerereï que je possède à la maison.
La perche du Nil est à l'origine d'une des plus grandes catastrophes écologiques touchant une mer intérieure. Le lac Victoria est en quelque sorte la future Mer d'Aral.
Mwanza, en plus d'être un village de pécheur, possède un aéroport sur lequel se posent DC8, Iliouchine 76 (gros transporteur de fret à réaction : 55t de cargaison)...
Que transportent ces avions ? Des filets de la perche du Nil.
Que mangent les Européens ? Des filets de la perche du Nil.
Que mangent les tanzaniens ? Les têtes de la perche du Nil frites dans une eau douteuse, après avoir pourrie quelques jours au soleil, dans la poussière, avec les insectes, avec les oiseaux.
Une femme auparavant fermière, a quitté son arrière pays pour venir travailler au bord du lac. Elle fait partie de ceux qui suspendent les carcasses de perche du Nil pour qu'elles "sèchent" avant de les frire quelques jours plus tard. "C'est mieux", elle a un travail. Par contre "elle devrait aller chez le médecin". Son oeil droit est mort, attaqué par les vapeurs d'ammoniac que dégagent les carcasses. "C'est pire quand il y a du vent".
Que sniffent les enfants tanzaniens ? La colle issue des déchets de film qui emballe les filets de la perche du Nil.
Les journaux parlent d'une famine sévissant dans le centre de la Tanzanie. La perche du Nil décolle, elle, pour l'Europe. Le poisson est trop cher pour les habitants, le riz a vu son prix décuplé avec les maigres récoltes.
De quoi vivent les hommes tanzaniens ? De la pêche, du filetage de la perche du Nil en usine, de quelques petits boulots - s'ils en trouvent.
De quoi vivent les femmes tanzaniennes ? De quelques petits boulots, du salaire de leur mari et de la prostitution quand il mourra du sida.
Dans un village de 390 habitants, le pasteur compte que 50 mourront dans les six prochains mois. Les pécheurs usent de prostituées, le virus se propage, la mort avec.
Le ballet des avions cargos se fait incessant, les décollages et atterrissages se font à quelques centaines de mètres au dessus des pécheurs.
Sur le tarmac, les pilotes et navigateurs russes entretiennent leur Iliouchine, attendant le chargement de perche du Nil. Pour le retour.
Mais que transportent les avions à l'aller ?
Rien.
Rien ? Hubert Sauper obtient si souvent cette réponse surprenante, le regard de l'interlocuteur géné, qu'il insiste.
Le mode de vie/commerce/profit occidental exclut qu'un flux se fasse pour rien. Tout a un sens, tout est optimisé.
On ne va pas en Afrique pour rien.
Que peut on apporter en Afrique ? De quoi a-t-elle besoin ? D'aide alimentaire ?
Quelques pilotes d'avion - beaucoup de Russes - parlent. Ils ont fait l'Ouganda, le Congo, maintenant la Tanzanie. Un journaliste tanzanien parle.
Des armes.
Les avions partent d'Europe, font un détour en Belgique, en Rép. Tchèque..., chargent des cartouches, diverses armes, atterrissent en Tanzanie, plaque tournante des armes en Afrique, et repartent chargés de perche du Nil.
Les armes pour l'Afrique, la perche du Nil pour l'Europe.
On vend ce que l'on produit.
En fait l'optimisation du fret ne se fait pas à l'aller - les armes - mais au retour - la perche du Nil.
En ouvrant récemment ses frontières à l'exportation de la perche du Nil, l'Europe a permi trois choses :
- Elle a rentabilisé le retour des avions cargos importateurs d'armes
- Elle a agravé l'exode des populations de l'intérieur du pays vers le lac, au détriment de l'agriculture, alors que les famines sévissent et le sida se répend
- Elle a développé une activité économique centré autour d'un produit inabordable par la population
Si l'Europe souhaitait que l'Afrique se reconstruise, que cette région des grands lacs connaisse la paix - 4 millions de morts en 5 ans, le plus grand massacre d'humains depuis la seconde guerre mondiale -, elle pourrait :
- Interdire la vente d'arme à ces pays, et veiller sérieusement au respect de cet embargo
- Construire une réelle et continue politique d'aide à l'agriculture africaine, pour que la population s'autosuffise, et ce afin que les aides massives alimentaires ne soient plus nécessaires
Mais l'Europe lutte déjà contre les productions agricoles des Etats Unis, du Brésil, de l'Inde? et aucun de ces acteurs ne souhaite qu'une autre région du globe produise massivement du blé, du soja...
L'Afrique peut mourir, ses habitants avec. Avec nos armes.
Hubert Sauper filme un pilote russe, qui avec émotion confie :
"Un jour en décembre j'ai embarqué de grands engins, comme des tanks.
Je les ai déposé ici, puis j'ai décollé pour l'Afrique du sud. J'ai chargé du raisin, que j'ai envoyé en Europe.
Je me suis dit, les enfants africains ont eu des tanks à noël, les enfants européens du raisin."
Hubert Sauper filme une région que je n'aurai pas cru, un paysage que l'on s'occulte volontiers.
"Le cauchemar de Darwin" est un plaidoyer dénonçant les horreurs d'une mondialisation absurde, et c'est bien triste...
C'était la dernière hier au Chapeau rouge, sans doute passe t il encore dans le coin.
